Et de voir beaucoup plus loin que via les mesurettes tardives et notoirement insuffisantes prises en ce début 2021. Une priorité : transférer les moyens publics des classes préparatoires aux grandes écoles des lycées à l'université. De l'audace, du panache et de la vision, bon sang !

Dans Libé le 20 janvier, la philosophe Myriam Revault d'Allonnes dit son indignation devant le sort inique des étudiants des campus : La réouverture des universités, qui accueillent généralement des étudiants moins favorisés sur le plan social, se fait de manière totalement chaotique alors que les classes prépas aux grandes écoles n’ont jamais cessé d’accueillir les étudiants. C’est sans doute l’un des scandales qui, en temps de pandémie, révèlent la misère structurelle des universités à laquelle l’État comme investisseur social aurait pour première tâche de remédier. Il est à craindre qu’il n’en prenne pas le chemin.

Étudiants à deux vitesses

Si elle salue la décision gouvernementale prise à la mi-janvier sous la pression médiatique, la Conférence des présidents d'université en note les limites : Il s’agit là de mesures d’accompagnement et non d’une reprise des enseignements en présentiel. Elles sont indispensables, mais ne sont pas suffisantes pour compenser les risques induits par cette situation exceptionnelle qui fragilisent de façon croissante la santé et la réussite des étudiants : risques psycho-sociaux, en termes de santé mentale, d’isolement et de précarité, inquiétudes sur l’insertion professionnelle future. (...) L’objectif est aujourd’hui de sauver le second semestre, en étendant la reprise aux autres années, à partir d’une date suffisamment proche pour éviter une situation de non-retour. La reprise doit concerner progressivement tous les étudiants. (...) En plus des mesures déjà en place, les étudiants quel que soit leur niveau, doivent pouvoir revenir sur leur lieu d’étude au moins une fois par semaine pour suivre des enseignements, comme peuvent le faire depuis septembre tous les élèves de France, de la maternelle au lycée, et les élèves de classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE) et de BTS : c’est là une nécessité impérieuse.

Des grandes écoles et prépas confisquées par les riches

Visiblement, on est très loin du compte. Bon, espérons que la gouvernance sanitaro-sécuritaire saura se ressaisir. Mais pourquoi nos gouvernants ont-ils laissé tomber les étudiants des campus (environ 2.700.000 jeunes) et privilégié les étudiants de CPGE (85.000 jeunes) ? Cette inégalité criante n'est en rien exceptionnelle quand on sait qu'un étudiant de CPGE coûte 15.890 euros/an au contribuable alors qu'un étudiant en université seulement 10.120 euros, toutes filières mêlées, soit 36% moins cher (Source : Repères et références statistiques, août 2020, DEPP, MENJS). Cela ne serait d'ailleurs pas choquant si les classes prépas et les grandes écoles étaient ouvertes à tous et non seulement aux riches.

Dans son rapport publié en janvier 2021 Quelle démocratisation des grandes écoles depuis le milieu des années 2000 ? l'Institut des politiques publiques (IPP) répond sans aucune ambiguïté à la question initiale : aucune démocratisation constatée ! Il précise : Malgré les dispositifs d’ouverture qui ont été mis en place par certaines grandes écoles pour tenter de diversifier le profil de leurs étudiants, leur base de recrutement est restée très étroite et n’a guère évolué au cours des quinze dernières années. Alors que leurs effectifs ont fortement augmenté au cours de la période, ces institutions d’élite sont restées presque entièrement fermées aux élèves issus de milieux sociaux défavorisés, la part des étudiants non franciliens n’a pas progressé et les filles y demeurent sous-représentées. Cette permanence des inégalités d’accès aux grandes écoles ne s’explique qu’en partie par les écarts de performance scolaire entre les groupes considérés. Elle trouve sa source, en amont, dans l’absence de diversification du recrutement des classes préparatoires et des écoles post-bac. (...) Ce constat d’échec invite à repenser les leviers qui pourraient être mobilisés pour diversifier le recrutement des filières sélectives et favoriser une plus grande circulation des élites. Selon cette enquête, 64% des places détenues en CPGE le sont par des enfants issus de professions et catégories sociales (PCS) très favorisées et seulement 9% par les PCS défavorisées.

La démocratisation de l'École a échoué sur toute la ligne et les élites ont tout fait pour qu'elle échoue. En utilisant richesse, réseaux, consumérisme scolaire, habitus, hexis (relire Bourdieu, Passeron, Baudelot, Establet...). En captant l'argent public afin de préserver et d'accentuer leur avantage de classe (les classes prépas sont très majoritairement implantées dans des lycées publics). Comment sortir de cette aporie ? Supprimer du vocabulaire la notion de grande école. Corollairement, abroger le dispositif dit de classe préparatoire aux grandes écoles dans tous les lycées, celui-ci ne constituant qu'une persistance nobiliaire et une survivance napoléonienne obsolètes, usurpatoires et contreproductives. Enfin, redistribuer les moyens du contribuable iniquement accaparés par quelques dizaines de milliers de happy few de la lutte permanente des places, des classes et des castes en créant, dans chaque université, des classes préparatoires à l'université. Mais veut-on réellement démocratiser l'École ? Veut-on vraiment un brassage social des élites ? Veut-on sérieusement la démocratie ?

Pour aller plus loin

Etudiante en première année, isolée j'ai craqué, Zone d'expression prioritaire, 14 janvier 2021

Pandémie : des étudiants sacrifiés, France culture, Les pieds sur terre, Sonia Kronlund, 19 janvier 2021

Quelle démocratisation des grandes écoles depuis le milieu des années 2000 ? rapport de l'Institut des politiques publiques, janvier 2021, note de synthèse, 8 p.

Fabrique des élites, une introuvable diversité ? France culture, Être et savoir, 25 janvier 2021

Troger V. (2020), Le clivage entre les élites et le peuple se construit à l'école, Observatoire des inégalités